La legaltech est loin d’avoir transformé de façon spectaculaire le droit et ses pratiques. Et c’est bien normal : toute mutation prend du temps. Diabolisée par les uns, adulée par les autres, la digitalisation va inexorablement laisser son empreinte, comme elle le fait d’ailleurs dans bien des domaines.
Pour ma part, j’aime croire qu’elle saura apporter aux justiciables de la simplification et une meilleure accessibilité au droit. Il est anormal dans une démocratie comme la nôtre que les citoyens aient un mal de chien à comprendre les législations qui régissent leur vie.
Je pense aussi que les professionnels du droit ont tout à gagner. D’ailleurs, ceux qui ont goûté à la technologie disent qu’elle est très utile pour se délester des tâches à faible valeur ajoutée. Ils ont alors le luxe de consacrer du temps à leur vrai travail : le conseil.
Dans un cas comme dans l’autre, il y a du pain sur la planche. Et c’est en rentrant dans la mêlée que je m’en suis rendue compte.
Lorsque je me suis lancée dans l’aventure de l’entrepreneuriat, je n’y connaissais rien. Si j’avais été consciente de l’ampleur de la tâche, j’aurais fait en sorte de trouver des conseils auprès de startuppers/startuppeuses qui ont relevé le défi de créer une legaltech. Mais étant donné qu’avec des « si » on mettrait Paris en bouteille, l’heure n’est plus au regret.
Ce travail d’aller chercher des feedbacks auprès d’entrepreneurs plus aguerris, je l’ai fait il y a quelques mois.
La saison 1 m’a enrichie. J’ai assez de recul aujourd’hui pour écrire cet article afin de vous partager les 7 conseils que j’ai retenus.
1/Quel pain point résout votre legaltech ?
Nul besoin d’être un grand créatif pour trouver une idée de start-up. C’est encore plus vrai dans le monde rationnel des legaltech où la fantaisie n’a pas vraiment sa place. La grande priorité est d’identifier un problème réel pour une cible précise.
Closd a été créé par Grégoire Débit, ancien avocat en droit des affaires, qui trouvait que le processus transactionnel était truffé de contraintes qui malmenaient son quotidien. Entre les mails, les pièces jointes, les coups de fils, le retraitement des données, l’administratif, les réunions de validation, il perdait finalement un temps monstre sur du travail redondant et inintéressant pour lui et son client.
Il a vécu lui-même cette frustration d’être freiné dans sa vie d’avocat. Et, il sait également que cette lourdeur peut agacer le client qui a beaucoup de difficultés à suivre l’avancement d’un dossier. Grégoire s’est donc attaqué au bon pain point en créant un outil collaboratif dédié au closing, ce qui explique aussi aujourd’hui pourquoi certains de ses clients sont devenus des investisseurs de sa boite.
Il existe un autre cas de figure : sentir une opportunité alors que le marché n’est pas encore prêt. Votre challenge sera d’évangéliser votre public tout en créant votre produit, comme l’a fait William Fauchoux de Blockchain Your Ip.
2/Passer du temps avec vos potentiels clients
Vous n’êtes pas du métier ? Ce n’est pas forcément un problème, à partir du moment où vous faites un vrai travail d’investigation auprès de votre cible.
Les CEO de legaltech ne sont pas tous issus du monde juridique. Donc, vous n’avez pas besoin d’être avocat pour créer une solution à destination des avocats, huissier pour créer une solution à destination des huissiers etc. Si vous traitez d’une problématique qui touche au fond du droit, le minimum sera d’être accompagné par un spécialiste.
Je dirais même que l’avantage d’être extérieur à ce monde est d’être tout à fait objectif et de ne pas se laisser influencer par ses propres biais ou préjugés.
L’ancien directeur général de Foxnot, Thierry Arnaly est ingénieur en mathématiques. Il a pourtant lancé Foxnot qui est une solution dont l’objectif est de simplifier les relations commerciales entre notaire et client au travers d’un espace collaboratif.
Pour créer une telle solution, il n’a pas eu le choix que de rencontrer une centaine de notaires. Il a même fait un stage dans une étude pour comprendre les rouages d’un office notarial, les problématiques et le rôle de chaque personne qui compose l’étude : de l’accueil, en passant par le secrétariat en faisant une halte auprès du clerc, il a pu décortiquer les difficultés de sa cible dans son univers.
Jean Philippe Cornet, CEO de Rubato est, quant à lui, juriste. Il a travaillé en cabinet d’avocats. Nous pourrions penser qu’il connaît déjà sa cible. Mais en réalité, c’était loin d’être suffisant. Pour lui, évoluer dans un marché déjà connu est le meilleur moyen d’avoir des idées préconçues. Et donc, il a mené 91 entretiens avec des avocats pour comprendre leurs écueils au quotidien.
Aujourd’hui, Rubato correspond en tout point à ce qu’attend sa cible : un outil de travail qui rassemble tous les dossiers, accessible depuis le Tribunal ou depuis chez soi.
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il est impossible de vouloir résoudre un problème sans maîtriser le quotidien de la cible. L’enjeu est vraiment de comprendre son besoin qui n’est parfois pas celui que vous croyez.
3/Comprendre les étapes de la création d’un produit SAAS
Alors, me direz-vous, comment appréhender un milieu tech quand on débarque comme un cheveu au milieu de la soupe ? De la patience, de la communication et de l’observation.
Il est primordial de découvrir à quoi sert chaque métier et dans quel ordre ils interviennent. Inévitablement, vous les rencontrerez tôt ou tard : le chef de projet et/ou product owner, l’UX designer, le développeur.
Le challenge, c’est de comprendre les besoins des uns et des autres pour que chacun puisse évoluer dans sa partie.
Pierre-Michel Motteau, co-fondateur de Legal Pilot, est un ancien avocat. Il joue le rôle aujourd’hui de product owner, rôle que vous endossez à vos débuts lorsque vous vous lancez dans l’aventure. Il est donc passé par la case formation et il conseille fortement celle délivrée gratuitement par Openclassroom sur la gestion de projet.
Afin de vous faire gagner un peu de temps, je vous invite à lire un article que j’ai écrit sur Linkedin et qui parle justement de l’articulation des différents métiers de la tech. Je ne vous cache pas que l’organisation est un vrai sujet pour créer un produit : comprendre la méthode AGILE vous permettra de gagner énormément de temps.
Le Juriste de demain est aussi une bonne option pour comprendre la tech dans l’environnement juridique. Apprendre sur le tas est une chose, mais se former est quand même un investissement indispensable pour ne pas patauger trop longtemps.
4/Faire des maquettes et les tester avant tout développement technique
Imaginez que vous ayez débusqué un besoin réel, une cible bien définie et que la présentation de la solution enthousiasme vos prospects. Sans déboucher le champagne, vous vous dites que ça vaut bien un mojito pour fêter cela.
Oui mais…(comme en droit, il y a toujours un “mais”)
La pire erreur arrivée à ce stade ?
Vous jeter à corps perdu dans le développement avec votre CTO ou un prestataire externe payé 500 euros/jour.
Vous devez réaliser :
- l’arborescence de votre produit. Cela vous donnera une vision globale de toutes les pages et les fonctionnalités dont vous aurez besoin pour qu’il soit utilisable ;
- les maquettes de votre plateforme. Vous aurez alors une idée concrète à quoi va ressembler “en vrai” les interfaces.
Plus vous serez précis, mieux ce sera.
Ce travail de fourmi, très minutieux, est celui que préconise Aquibou Doucouré, CEO de Blockproof, qui n’a pas hésité à créer des maquettes “dynamiques” pour les faire tester à ses futurs utilisateurs.
Si votre produit résout un problème mais que l’expérience sur vos interfaces est compliquée ou incompréhensible, vous perdrez vos clients.
Pour éviter ce drame, travaillez bien en amont toutes les spécifications techniques et les spécifications visuelles. Ce travail évite de revenir sur ses pas lors du développement technique qui peut-être un cauchemar sans nom lorsque vous n’avez qu’une idée floue de votre application.
J’insiste. Les maquettes vous donnent un visuel clair du produit et des interfaces sur lesquelles vos utilisateurs vont naviguer. Vous aurez une idée des boutons manquants, des pages vers lesquelles les liens doivent renvoyer, de la cohérence globale de l’application, des incompréhensions que génèrent tel ou tel visuel etc.
Vous pouvez vous y mettre vous-même avec Figma, un outil utilisable même par les novices. Mais si vous souhaitez un travail abouti, faire appel à un UX designer semble incontournable (je vous le dis en connaissance de cause, chez Hellia, l’arrivée d’un UX designer a tout changé).
Si cet aspect vous intéresse, je pourrai inviter un UX designer qui pourra tout vous expliquer.
5/Ne pas attendre la version parfaite pour commercialiser
L’autre énorme erreur, c’est d’attendre que tout soit parfait pour commercialiser. Vous aurez beau trimer comme un malade, rien n’y fera.
Votre produit aura des défauts.
La difficulté est de trouver le juste milieu mais je dirai que l’important, c’est que l’utilisateur navigue facilement sur l’application et arrive à utiliser le produit correctement.
Il importe peu, dans un premier temps, que les couleurs soient moches ou que votre logo manque de classe. Vous aurez le temps de dépenser de l’argent là-dessus une fois que vos premiers clients seront contents du pain point que vous résolvez pour eux.
En vous focalisant sur des détails que personne ne verra à part vous, vous allez repousser la commercialisation et les feedbacks de vos premiers clients qui, pour le coup, sont très précieux pour améliorer votre application.
Aurélien de Nunzio, CEO de “Permettez-moi de construire” préconise vraiment de ne pas tarder. Votre V1 est prête ? Elle délivre de la valeur ? Alors foncez. Puis, il s’agit là de se confronter à la réalité du marché : est-ce que réellement les gens vont acheter ce que vous proposez. Plus tôt vous aurez la réponse, plus tôt vous prendrez les mesures adéquates (pivoter ou proposer une fonctionnalité vraiment attendue).
Une astuce que je tiens également d’un CEO d’une propetch très prometteuse : dès que vous le pouvez, récupérez de la data lorsque vous présenterez votre produit alors même qu’il n’est pas encore sorti.
L’objectif ? Montrer à vos futurs investisseurs ou votre équipe (oui, lancer une start-up ne se fait pas seul, mieux vaut avoir une équipe de passionnés derrière) que le marché est prêt à acheter.
Concrètement ? Créez un formulaire et diffusez-le à votre cible (sans être un gros lourdeau, donc en faisant un minimum de marketing et de communication) disant que le produit va bientôt sortir et que s’ils veulent en être, qu’ils laissent leur mail. Cela ne signifie pas qu’ils vont acheter, mais l’intérêt est là. C’est le début de quelque chose, et c’est déjà mieux que rien !
6/Savoir déléguer et se faire accompagner
Au départ, en tant que porteur de projet, vous ferez absolument tout. S’il est vrai que certains fondateurs restent seul maître à bord, la plupart des boîtes sont portées par plusieurs personnes.
Dans le milieu de la legaltech, il y a une évidence qui saute aux yeux : pour que ça fonctionne, vous avez non seulement besoin de compétences métier mais également de compétences techniques.
A moins d’être ultra doué, il est compliqué de tout faire soi-même. Pour pallier aux manques, il n’y a pas 36 solutions : soit vous vous associez à d’autres personnes qui ont des compétences complémentaires, soit vous avez assez de cash pour externaliser vos besoins (autant vous dire, qu’il vous faut un sacré budget).
Toutefois, sachez qu’il existe des outils low-code ou no-code qui vous donnent la possibilité de créer un prototype avancé. Pire : de faire une V1. Bien évidemment, tout dépend de la complexité de votre projet (si vous avez pour ambition de faire de l’IA direct, avec du low-code, vous êtes mal barré).
Au départ, être économe est essentiel. L’argent fond comme neige au soleil mais le pire pour tout entrepreneur, c’est de perdre du temps. Mieux vaut alors, faire un “bilan coût-avantage” (poke les juristes publicistes) et se dire que dépenser XX euros pour un spécialiste vous donnera l’occasion de mettre votre énergie sur une mission sur laquelle vous aurez vraiment une plus-value.
7/Se faire connaître avant le lancement de sa legaltech
Lorsqu’on prépare son produit, on a cette peur irrationnelle qu’une personne nous pique notre idée.
Il est rare d’être le premier à avoir l’idée du siècle (sinon vous êtes un visionnaire et vous serez bientôt connu comme Steve Jobs). Surtout, il y a un monde entre “avoir une idée” et “réaliser l’idée”. Le plus dur est l’exécution. Or, sur 1000 personnes qui ont le même projet de legaltech, très peu finissent par s’y lancer corps et âme. C’est une certitude !
Par ailleurs, comment savoir si l’idée que vous avez peut se transformer en un produit qui se vend si vous n’en parlez pas ? C’est même contre productif de tout faire dans son coin sans en parler.
La plupart des entrepreneurs que j’ai interviewé ont co-construit le produit avec des potentiels clients (comme BlockProof ou Closed). Case Law Analytics a même su identifier et séduire un marché en participant à des colloques avant de se lancer dans le business.
Parler de son produit et se constituer un réseau avant le lancement, c’est l’un des leviers pour réussir sa commercialisation.
Cette liste de conseils n’est pas exhaustive ! Loin de là. D’ailleurs, si vous avez d’autres idées, n’hésitez pas à me contacter. Je me ferais un plaisir d’éditer cet article avec vos observations.
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